Les trigger warnings sont-ils vraiment inutiles et nocifs ?

Un trigger warning (TW) est un avertissement sur un contenu qui peut potentiellement rappeler un traumatisme pour certaines personnes. En littérature, cela permet au lectorat de connaître en avance les thèmes présents dans un livre, et ainsi le préparer ou lui faire différer sa lecture.

Deux articles sur Slate remettent en question l’utilisation des trigger warnings, la faute à deux études réalisées par les mêmes chercheur·euses en 2018 et 2020.

Ces études auraient pour conclusion que « les TW ne permettent pas d’atténuer une détresse causée par la lecture d’un passage », et « pourraient nuire activement à la santé mentale des individus auxquels ils sont destinés ».

Ces conclusions se baseraient sur le fait que la mention même d’un TW entraînerait une réaction de stress, mais aussi, parce que cela encouragerait une situation d’évitement qui n’aiderait pas forcément à surmonter un traumatisme, et que les TW seraient donc « nocifs ».

Déjà, il faut noter qu’il existe en dehors de ces études de nombreuses recherches en psychologie sur les trigger warnings qui prouvent que justement, si, les TW sont utiles.

Ensuite, l’autre problème est que ces deux études citées sont complètement à côté de la plaque car comportent de nombreux biais.

Le problème de ces études

La première étude de ces chercheur·euses était en elle-même problématique, car le panel étudié était composé de personnes qui ne souffraient pas de troubles psychiques. C’était d’ailleurs une des limites que les chercheur·euses reconnaissaient (encore heureux, les TW sont justement pensés pour ces publics fragiles…).

Pour la deuxième étude, ils se sont concentrés sur le bon échantillon de personnes, mais encore une fois, ils sont partis d’hypothèses complètement biaisées en supposant que les TW pourraient « soigner » les personnes.

Slate a donc eu la bonne idée de reprendre ces deux conclusions avec des articles titrés « les TW ne servent à rien » et « les TW ne sont pas une bonne idée » sans se poser la question de la légitimité de ces études.

À quoi sert exactement un trigger warning ?

Un TW n’est pas censé « atténuer une détresse », ni permettre de surmonter un traumatisme. Ils sont simplement là à but informatif, pour avertir le lectorat de potentiels thèmes qui pourraient lui être désagréable.

Alors oui, l’exposition à une situation stressante est effectivement l’une des méthodes pour en venir à bout, mais cela ne s’applique pas pour autant à toutes les situations de détresse psychique (et on parle ici de traumatismes, pas d’une simple « peur de l’oral » comme la journaliste de Slate prend l’exemple).

L’exposition forcée n’est donc pas indiquée pour tous les troubles psychiques, et les TW sont justement ce qui permet d’éviter cette exposition « forcée » qui peut mettre une personne en souffrance émotionnelle.

Beaucoup de personnes n’utilisent pas les TW pour « fuir », mais plutôt pour se préparer à une lecture et pour savoir si actuellement, mentalement, elles sont dans les bonnes conditions pour apprécier ce livre. Parfois, quand on ne se sent pas bien, lire un livre qui nous rappelle pourquoi on est mal n’est pas franchement la première chose dont on a envie.

Les trigger warnings comme protection

Cela permet également d’éviter un potentiel effet Werther (lorsque la lecture d’un livre peut entraîner un suicide à cause d’une identification à un personnage en situation de mal être).

Prenons l’exemple d’une personne souffrant de dépression et qui lit un livre sans mention de TW : parfois, le sujet est bien traité et des messages optimistes sont véhiculés et il peut y avoir presque un effet thérapeutique, et c’est super.

En revanche, la dépression est aussi un sujet qui attire certain·es auteurices pour créer une situation dramatique et susciter de grandes émotions chez le lectorat « lambda ». Souvent, ce sont des messages assez pessimistes sur la dépression en montrant des personnages qui n’ont aucun espoir. Et ces lectures sans TW peuvent vraiment mettre certaines lecteurices en danger.

L’absence de TW est donc plus nocive, que sa présence.

Avec les TW, les personnes sont en mesure de faire des recherches sur le livre et voir si elles se sentent, sur le moment T, capables de lire ce livre (elles pourront très bien le lire plus tard quand elles se sentiront mieux, ce n’est encore une fois, pas forcément une fuite, mais une simple préparation mentale).

Pourquoi utiliser les trigger warnings en tant qu’auteur ?

J’ai vu que certain·es auteurices hésitaient à faire des TW de peur de spoiler le contenu du livre au lectorat et gâcher un potentiel plot twist. Dans ce cas, vous n’avez qu’à simplement faire une page au début de votre livre qui indique qu’à la fin se trouve une liste des thèmes abordés pour les personnes qui seraient intéressées.

Une nouvelle pratique commence à émerger en associant les TW à un QR Code qu’il est ensuite possible de scanner avec son portable, ça peut être une autre solution.

Évidemment ce n’est pas obligatoire, mais dans votre lectorat se trouve peut-être des personnes qui ne sont pas au meilleur de leur forme ou souffrent de troubles psychiques. Je pense qu’il faut voir ça plus comme une petite attention à leur égard plutôt qu’une contrainte insurmontable !

Les lecteurices ont le droit de se protéger émotionnellement, et le choix de s’exposer aux traumatismes leur revient. Ce n’est que quelques mots à rédiger et cela permet d’épargner à votre lectorat des recherches fastidieuses ou une mauvaise expérience avec votre livre.

Conclusion

Dans tous les cas, si des personnes souhaitent gérer leurs traumatismes, je pense qu’elles savent très bien que c’est par des professionnels de santé qu’elles doivent passer, et non par les livres, d’où le fait que j’ai un peu de mal à comprendre le but de ces études à part décrédibiliser les sensibilités de chacun. Et surtout, deux études ne sont pas suffisantes (surtout quand elles sont mal faites) pour affirmer si telle chose est bonne ou non. Avant de s’empresser de faire des articles pour condamner les TW, il vaut mieux attendre que plusieurs études sortent pour confirmer ou non ces hypothèses (surtout que les nombreux travaux sont en faveur des TW justement…).

De plus en plus de maisons d’édition française ont de toute façon recours aux TW, et je trouve que c’est une très bonne chose !

Mais le problème est que Slate a décidé de ne retenir que ces deux recherches négatives, et que leurs articles se trouvent en première place lorsque l’on fait une recherche Google sur les trigger warnings.

Les personnes qui ne sont pas du tout familières avec les TW, mais potentiellement intéressées risquent donc très vite d’abandonner cette idée si elles ne creusent pas un peu en voyant les conclusions de ces articles, et c’est ça qui est assez dommage.

Ces articles sur les TW illustrent parfaitement les raisons pour lesquelles il faut toujours se méfier quand des titres d’articles sont très tranchés car se basent sur « des études ». Et Slate ne se base justement seulement sur deux études négatives alors que de nombreuses autres recherches anglophones sur les TW sont disponibles et démontrent leurs nécessités pour créer un espace sain et sécurisant.

Il faut savoir qu’aux États-Unis, il y a tout un débat pour déterminer s’il faut utiliser ou non les TW en cours de psychologie pour les étudiants. Il y a forcément des enseignant·es qui sont contre et cela va donc donner des études biaisées comme celles-ci.

Si vous êtes intéressé.e par le sujet et à l’aise avec l’anglais, vous avez juste à taper « trigger warning » dans Google Scholar pour voir que c’est un sujet qui a été beaucoup étudié.

Je vous invite également à consulter mon article qui traite sur l’écriture des troubles psychiques, et où les trigger warnings sont particulièrement importants quand vous écrivez sur ces thématiques !

3 commentaires sur « Les trigger warnings sont-ils vraiment inutiles et nocifs ? »

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