La New Romance : le mauvais genre par excellence ?

Dans Lettre à celle qui lit mes romances érotiques et qui devrait arrêter tout de suite, Camille Emmanuelle revient sur son expérience d’autrice de New Romance et dénonce les représentations problématiques du couple qui sont encouragées par l’industrie du livre. Tout au long de son livre, elle déroule des arguments pour conclure que cette littérature ne serait pas compatible avec des idéaux féministes.

Cependant, la littérature érotique est un sujet qui est également régulièrement étudié par des universitaires depuis les années 80. Et même si des études évoquent effectivement un manque de diversité à tous les points de vue, les conclusions ne sont pas aussi catégoriques que celles de Camille Emmanuelle concernant l’incompatibilité avec le féminisme.

Nous allons donc essayer d’examiner ensemble tous ces arguments (souvent saupoudrés de sexisme et de classisme) pour voir si la New Romance « desservirait la cause féministe » ou si c’est plus compliqué que ça.

C’est quoi la New Romance ?

Les romans de New Romance suivent généralement des jeunes femmes qui font leurs débuts dans la vie d’adulte et leurs relations tumultueuses avec un homme.

Ce qui marque la frontière avec la littérature sentimentale classique, ce sont les scènes de sexe explicites. 50 nuances de Grey et After sont les représentants les plus emblématiques du mouvement. Mais ce serait réducteur de résumer un genre littéraire qui se décompose en plusieurs sous-genres uniquement à ces deux romans.

C’est un genre très porteur, dont les parutions se hissent sans problème dans le top des ventes e-book.

Public

Camille Emmanuelle résume en quelques phrases le profil marketing du public principal :

« Tu as entre 18 et 30 ans. Tu es plutôt urbaine. Tu as raffolé de Cinquante Nuances de Grey, et tu es une avide lectrice de romances érotiques et de magazines féminins. Tu aimes bien les comédies romantiques au cinéma, et tu regardes Grey’s Anatomy à la télé. Tu adores sortir avec tes copines, et avoir des « papillons dans le ventre » quand tu rencontres un homme. En tout cas, c’est ainsi que la maison d’édition m’a parlé de toi. »

Camille Emmanuelle. Lettre à celle qui lit mes romances érotiques et qui devrait arrêter tout de suite, Les Echappes, 2017, 128p.

Il faut également rajouter que le lectorat de la New Romance appartiendrait de façon non négligeable à une couche plus populaire de la population (Damian-Gaillard Béatrice, 2011).

Style

Pour ce qui est de la stylistique, toujours selon Camille Emmanuelle, il faut que vous évitiez justement le plus possible de faire parler votre prose. Préférez un style simple, au présent, écrit à la première personne, avec des figures de style qui ne laissent que peu de place à la poésie ou la subtilité. Les pensées de la narratrice doivent également apparaître en italique, tout comme les émotions doivent être indiquées explicitement, avec des « lancé-je, en colère », « me souffle-t-il, avec un air sensuel », « rétorqua-t-il, amusé ».

L’aseptisation du style et le schéma narratif très codifié qui se retrouvent d’un roman à l’autre sont en réalité une façon de correspondre à l’idée fantasmée de ce que les éditeurs se font de leur public.

Un public basé justement sur cette couche de femmes issues des classes populaires, où les maisons d’édition supposent qu’elles ne veulent pas d’une lecture « compliquée » :

« Celle-ci se fonde sur les archétypes, les valeurs, les maximes, les clichés et les stéréotypes culturels partagés par le plus grand nombre, ce qui facilite le processus de standardisation, rend accessible la lecture des romans aux groupes sociaux les moins dotés en capital culturel, et ce qui favorise l’internationalisation de leur diffusion. Il est certain que ce projet industriel ne tend pas vers une remise en cause de « l’arrangement des sexes » (Goffman, 2002), mais, au contraire, le naturalise (Bourdieu, 1998) »

Damian-Gaillard Béatrice (2011), « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », Questions de communication, 20 | 317-336.

Pour autant, cet argument concernant le style ne rend pas forcément cette littérature moins légitime qu’une autre. C’est au contraire assez élitiste et rejoint les arguments de type « la vraie littérature, c’est la littérature blanche » . Cela crée des hiérarchies de valeurs alors qu’un texte sans fioritures peut toucher tout autant le lectorat.

L’important n’est pas de savoir si le texte est bien écrit ou non, c’est s’il plaît à d’autres personnes.

Les personnages

Les personnages de ces romans seraient très archétypaux, car ils seraient définis seulement par quelques traits de personnalité.

En s’appuyant sur un corpus de plusieurs romans issus des collections Harlequin, Béatrice Damian-Gaillard a en effet réussi à dégager des profils types de personnages qui se retrouvent d’un roman à l’autre :

Le type de protagoniste que l’on retrouve presque à chaque fois est un personnage masculin plus âgé que l’héroïne, avec une meilleure position sociale et qui partage les mêmes caractéristiques que la plupart des autres héros appartenant à cette littérature :

« Il approche l’idéal, voire caricature la masculinité hégémonique : l’homme fort, sans égal, imposant, autoritaire, mais protecteur, irrésistible, car charismatique, irradiant un magnétisme que nul ne peut combattre. »

Damian-Gaillard Béatrice (2011), « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », Questions de communication, 20 | 317-336.

Les personnages sont blancs, hétérosexuels et performent les attendus du couple dans l’imaginaire commun.

La justification des maisons d’édition sur ce manque de diversité est que généralement cela ne correspond pas à leur ligne éditoriale ou leur public (et donc n’arrange pas leurs ventes).

Malheureusement comme dans le cas de beaucoup d’industries culturelles, si la rentabilité n’est pas présente, les efforts en termes de représentations sont vite abandonnés. Il y a un manque de prise de risque, de la part des plus petites maisons d’édition, mais également des leaders du marché, qui se contentent de marketingiser leurs lectorats, niant ainsi toute leur dimension à apprécier ce qui sort des sentiers battus ou des nouvelles visions du couple et de la sexualité.

Les représentations de la diversité

Nous avons souvent une seule forme de féminité et une seule forme de masculinité qui sont présentées à travers ces livres. Tout ce qui sort de la norme est écarté, voire moqué.

Les hommes présentés sont des « mâles alpha », des hommes dominants dont tout leur réussit : ils sont beaux, musclés et leur sexe serait « imposant ». Ils sont souvent désagréables au premier abord, mais se révèlent par la suite capables d’affection.

Les femmes, quant à elle, correspondent également à ce qui est imaginé comme l’idéal de la féminité actuelle : elles sont indépendantes, drôles, ne se laissent pas marcher sur les pieds, mais peuvent aussi faire preuve de douceur, voire de naïveté.

Les corps qui sortent de cette norme sont invisibilisés, tout comme les sexualités non hétérosexuelles. Lorsque le héros est racisé, il est exotisé et caricaturé pour correspondre à des stéréotypes populaires voire franchement racistes. Ils ne peuvent pas être simplement caractérisés normalement, comme le montrent Mélie Fraysse et Marie-Carmen Garcia à propos d’un personnage masculin dans la série Harlequin « Orientale » :

« La représentation stéréotypée de « L’Arabe », comme figure narrative, montre celui-ci comme brutal, sauvage, jaloux et polygame. Cette représentation de « l’homme arabe » ne concerne pas seulement – peut-être pas prioritairement – une stigmatisation des hommes orientaux en Occident (Macé, 2007), mais une image des femmes en Orient (dominées, asservies…) qui légitime le contrôle des femmes dans les pays occidentaux […] »

Fraysse Mélie et Garcia Marie-Carmen (2019), « Les Thug Love : des romans sentimentaux à l’épreuve de la classe et de la race », Genre en séries [En ligne], 9 | mis en ligne le 01 mai 2019.

Les auteurices qui mettent en avant des personnages transgenres, racisés, mais aussi des romances gays ou tout ce qui sort de la norme hétérosexuelle sont directement catégorisé·es dans des sous-genres de niche, très peu exploités par les maisons d’édition alors que de nombreux textes en ligne ou en autoédition mettent ces relations à l’honneur.

Les rares romans de littérature érotique publiés par des maisons d’édition qui mettent en avant des personnes trans sont souvent écrits par des personnes non concernées et qui peuvent sexualiser et stéréotyper de manière négative ces personnages.

« Nous avons trouvé dans ce corpus une quinzaine d’auteur.e.s parlant de manière significative, et non pas simplement épisodique, de personnes transidentitaires et d’inversion des rôles sexuels. Le premier constat est qu’aucun.e des écrivain.e.s de notre corpus n’est une personne transidentitaire ; le recours à l’écriture érotique ne faisant sans doute pas partie des pratiques des trans FtM ou FtM pour rendre visibles les questions transgenres . »

Zaganiaris, Jean. « ‪« Des filles au masculin, des garçons au féminin ? » : ambivalences du genre et sexualités non normatives dans la littérature érotique contemporaine‪ », Questions de communication, vol. 31, no. 1, 2017, pp. 415-432.

De même, pour les romances mettant en scène des personnages racisés, il y a pourtant de la demande : le succès du genre Thug Love écrit en majorité par des personnes concerné·es et qui proposent des personnages d’origine nord-africaine ou arabe le montre. Certaines de ces histoires sur Wattpad culminent à 50 000 lectures. C’est le cas également en autoédition, où de plus en plus de romances avec des personnages racisées fleurissent.

Un public existe donc pour ces histoires. Pourtant, les maisons d’édition traditionnelles ont beaucoup de mal à les inclure dans leur ligne éditoriale ou préfèrent des traductions de livres qui ont déjà rencontré un succès à l’étranger.

Une plus grande diversité de personnages peut malgré tout se retrouver chez certaines maisons d’édition indépendantes, qui se spécialisent parfois dans des représentations ou type de romances très précises.

Une littérature émancipatrice ?

Camille Emmanuelle explique dans son livre que cette littérature érotique est souvent complètement dépolitisée ; la moindre phrase qui pourrait refléter une idéologie politique ou religieuse est écartée par les éditeurices. Ces livres doivent être politiquement lisses et correctes. Cependant, à travers des récits d’héroïnes qui tombent amoureuses de milliardaires, c’est l’apologie du capitalisme et d’une consommation qui serait faite inconsciemment.

Les schémas du couple sont également très hétéronormatifs et classiques : un homme et une femme, hétéros, blancs, dans une relation monogame, dont le déroulement des relations sexuelles reste le même à chaque fois.

Ces histoires sont vendues par la plupart des maisons d’édition comme un signe d’émancipation féminine, où le plaisir des femmes, longtemps invisibilisé, est mis à l’honneur. De même, certain·es éditeurices arguent que leurs héroïnes sont « fortes et indépendantes » pour justifier le côté féministe de ces livres.

Je ne pense personnellement pas que ce soit vraiment un argument, dans la mesure où depuis les années 80, ce n’est plus trop dans les mœurs de présenter des héroïnes avec des mentalités de femme des années 30. Et comme le montre Camille Emmanuelle, à l’heure où elle a écrit ce livre, ces romans ne sont finalement pas aussi progressistes qu’ils essaient de le faire croire :

« Le problème, et je l’ai découvert en écrivant à la chaîne ces histoires, c’est que cette machine à produire des fantasmes est à mille lieues de l’émancipation et de la modernité. Mon éditrice s’offusque quand dans une scène l’héroïne se caresse, elle me demande de changer le personnage du « meilleur ami gay » en « meilleur ami hétéro », quelques pratiques sexuelles sont autorisées et beaucoup d’autres interdites, je dois rappeler que la jeune héroïne rougit (beaucoup), et que son bonheur est uniquement lié à sa rencontre avec le milliardaire. On est ici dans la reproduction – massive – de schémas sexuels et amoureux des années 1950. »

Camille Emmanuelle. Lettre à celle qui lit mes romances érotiques et qui devrait arrêter tout de suite, Les Echappes, 2017, 128p.

Cependant, je nuancerais la suite des propos suivants de Camille Emmanuelle :

« Ces romances, qui remplissent de plus en plus les rayonnages des librairies et des supermarchés, sont nocives. Pas uniquement à cause de leur style, pauvre et formaté. Elles sont surtout nocives dans les messages qu’elles véhiculent sur le couple, l’amour et le sexe. Si la presse féminine dicte aux femmes comment être belle, mince, naturelle et branchée, les romances érotiques, elles, fabriquent des fantasmes prêts à consommer. Des fantasmes qui restent dans les clous et s’inscrivent dans le cadre d’une relation homme-femme ultra-traditionnelle. Lectrice-type – toi, Manon –, tu dois mouiller ta petite culotte, mais il ne faudrait pas non plus que tu t’émancipes. »

Camille Emmanuelle. Lettre à celle qui lit mes romances érotiques et qui devrait arrêter tout de suite, Les Echappes, 2017, 128p.

En raisonnant comme cela, elle pense exactement comme le font les éditeurices de ces romances en infantilisant leurs lectrices.

La question de la réception

En considérant que cette littérature est « nocive », on tombe dans la panique morale. Et pour faire un parallèle avec les jeux vidéo, c’est exactement le même genre de craintes concernant leur influence. Or, ce n’est pas parce que l’on joue à des jeux violents que nous allons devenir violents.

Et ce n’est donc pas parce qu’une lectrice lit une littérature qui propose des représentations archaïques qu’elle va les intégrer. Je suis d’accord avec le fait que ces représentations soient pauvres, mais elles ne sont pas « nocives » pour autant.

Déjà, c’est un peu à côté de la plaque de reprocher ça à la New Romance alors qu’on est dans un paysage culturelle où ce genre de représentations très stéréotypées sont présentes dans d’autres médias (cinémas, musique, jeux vidéo, etc.) et c’est donc un problème beaucoup plus global.

Et pour autant, il y a certes toujours ce genre de clichés très présents, mais il y a également aussi de plus en plus d’alternatives à ces représentations.

Elles ne sont plus l’unique modèle du couple et de la sexualité. Et c’est bien pour cela qu’elles sont autant critiquées aujourd’hui, c’est qu’il y a d’autres modèles de références auxquelles les comparer.

Si on se penche sur les fils de discussions dédiées à ces questions, les lectrices savent très bien faire la part entre la réalité et la fiction, et savent aussi très bien que les relations qu’elles aiment lire dans les romances ne sont pas forcément celles qu’elles veulent dans la vie réelle.

Ce que nous fait Camille Emmanuelle, c’est typiquement du Theodor Adorno, un penseur influent en son temps et très critique les industries culturelles, car selon lui, elles auraient une influence délétère sur « les masses ».

« Après tout, ce que l’on reproche à la romance (la standardisation, les stéréotypes, l’absence de surprise, la nature industrielle de sa production), n’est-ce pas ce qu’Adorno et Horkheimer reprochaient dans les années 1940 au jazz et au cinéma hollywoodien? Leur analyse des industries culturelles demeure aujourd’hui intéressante en ce qui concerne la production des œuvres, mais elle postule un public uniforme, passif, qui les reçoit en bloc et s’en trouve magiquement imprégné. Depuis, les études culturelles et la sociologie de la réception sont venues donner vie à ce public, à ses capacités, à la complexité du rapport entre la manière dont les œuvres sont produites et la variété de leurs réceptions. »

Béja Alice (2019). La new romance et ses nuances : Marché littéraire, sexualité imaginaire et condition féminine. Revue du Crieur, 12, 106-121.

Et déjà dans les années 80, Janice Radway avait étudié l’impact que pouvait avoir cette littérature sur les personnes qui la consommaient. À travers une série d’entretien avec des lectrices de romance, Radway se refusait à conclure que cette littérature était problématique pour l’émancipation de ces femmes. Les lectrices savaient très bien que ce qu’elles lisaient n’était pas forcément ce à quoi elles aspiraient dans leur vie réelle. Et en plus de ça, à l’époque, pour ces lectrices qui étaient pour la plupart mère au foyer, lire ce genre de littérature était justement une façon de prendre un temps pour soi, en dehors du quotidien et des oppressions qu’elles pouvaient subir au sein de leur foyer où elle dévouait tout leur temps à leur famille et à l’entretien de la maison.

« Il ne faut pas confondre le genre, la qualité supposée des livres et les raisons pour lesquelles les gens les lisent. […] en rester à une condamnation des stéréotypes véhiculés par ces textes, à une critique de la pauvreté de leur style et de leur imaginaire, n’est-ce pas, aussi, nier toute forme d’autonomie à leurs lectrices ? »

Béja Alice (2019). La new romance et ses nuances : Marché littéraire, sexualité imaginaire et condition féminine. Revue du Crieur, 12, 106-121.

Oui, dans ces romans, les représentations sont peu diversifiées, et les messages véhiculés ne sont pas ce qu’il y a de plus émancipant : l’amour est souvent vendu comme un moyen de résoudre tous les maux et les problèmes.

Mais ce n’est pas le seul genre à le faire.

C’est même une idée assez répandue dans l’imaginaire collectif, où lorsqu’un personnage a un problème ou n’arrive pas à s’aimer, l’amour est présenté comme la solution magique. Cette idée ne vient donc pas exclusivement de ce genre littéraire.

Des lectrices capables de réflexion

Oui, c’est une littérature dont les ressorts sont presque industriels, mais non, ça n’abrutit pas les masses. Les lectrices lisent ce genre pour des raisons précises, c’est que ça leur fait du bien, et non pas pour se « nourrir intellectuellement » ou trouver leur nouvelle façon de voir le monde. Comme la plupart des oeuvres culturelles que l’on consomme en fait. Toute notre consommation médiatique ne doit pas forcément nous élever intellectuellement.

Et c’est justement ce côté prototype décliné à l’infini qui est réconfortant pour certaines personnes. De la même manière que le sont les tropes, la New Romance emmène la lectrice dans un terrain connu, où elle peut consommer ce dont elle a besoin à un moment T. Ces lectrices ne se contentent d’ailleurs pas de lire uniquement ce genre de littérature, car pour la majorité, cela constituerait une porte d’entrée aux autres genres littéraires. Et quand bien même elles ne consommeraient que de la New Romance, pourquoi devrait-on leur reprocher de faire des choses qu’elles aiment ?

Le problème avec ce type de discours qui délégitime certains genres littéraires, est qu’il est révélateur d’une pensée classiste et sexiste très ancrée.

Une partie de ces lectrices sont des femmes qui appartiennent à un public populaire, et en s’en prenant à cette littérature, on s’en prend en même temps à ces lectrices. Une femme doit être libre de lire ce dont elle a envie. Elle ne devrait pas être moquée ou culpabilisée de ce qui lui apporte du plaisir.

Il y a également le fait que la plupart des personnes travaillant dans le monde de l’édition ne sont pas issues de la classe populaire et projettent donc tout un tas de préjugés saupoudrés de sexisme intériorisé sur leur potentiel lectorat, ce qui participe à construire ces stéréotypes négatifs sur ces lectrices :

« […] le lectorat féminin est inconsciemment, encore, construit comme plus malléable, influençable, perméable aux stéréotypes et caricatures que lui renvoient les romances et qui correspondent à ceux que la société construit sur les femmes »

Béja Alice (2019). La new romance et ses nuances : Marché littéraire, sexualité imaginaire et condition féminine. Revue du Crieur, 12, 106-121.

Une pensée sexiste et classiste

Alors qu’auparavant de nombreuses femmes disaient « je ne suis pas féministe, mais … » à cause de la décrédibilisation que subissaient ces luttes sociales, c’est désormais le contraire qui se produit, où ne pas militer en faveur de l’égalité est stigmatisé et pointé du doigt.

La littérature érotique représente donc une cible facile pour ces nouvelles mentalités éveillées.

Or, n’oublions pas que le féminisme reste un privilège.

C’est un savoir qui peut être transmis par la socialisation familiale ou le milieu social. Ce sont des moyens de transmissions que certaines lectrices n’ont pas forcément l’occasion d’avoir. C’est pour pour cette raison que taper sur ces lectrices issues de milieux populaires qui consomment ces littératures jugées rétrogrades n’est pas non plus la chose la plus bienveillante à faire et est franchement classiste.

Mais surtout, c’est un préjugé négatif de supposer qu’elles ne peuvent pas réfléchir par elles-mêmes, alors que la majorité d’entre elles sont tout à fait conscientes de ce qu’elles lisent.

Et dans tous les cas, être féministe n’est pas forcément incompatible avec la consommation de ce type de littérature. D’une part car les lectrices savent ce qui est souhaitable ou non pour elles, mais également car il suffit de lire autre chose que les livres les plus connus (et qui sont sortis il y a plus de 10 ans pour la plupart) pour se rendre compte que la New Romance est un genre très large, qui évolue en même temps que ses représentations : le féminisme est une valeur de plus en plus partagée, et cela se reflète de plus en plus dans cette littérature. Oui, il y a toujours des romances qui pourraient être considérées comme rétrogrades, mais d’autres mettent en avant des relations saines et des personnages qui sortent des stéréotypes et de la binarité de genre habituels.

Quel futur pour la New Romance ?

Tout n’est pas à jeter dans la New Romance. Même si certains schémas des livres les plus populaires sont problématiques, c’est l’une des rares littératures qui met au centre le plaisir féminin. Une pratique qui est encore trop absente de l’ensemble des œuvres, tous médias confondus.

Pour certaines femmes, ces livres ont même été un premier pas pour découvrir leur vie sexuelle et s’éduquer à ce sujet, car la sexualité féminine a pendant très longtemps été invisibilisée des oeuvres culturelles.

Avec les différents #MeToo et l’influence de prise de conscience des discriminations qui émergent de plus en plus dans l’espace public, cette littérature commence petit à petit à se transformer. Les maisons d’édition traditionnelles sont pour la plupart encore trop frileuses pour se lancer dans des marchés de niche qui mettent en avant des relations érotiques non hétérosexuelles ou des personnages racisés, mais on peut déjà trouver son bonheur au niveau des maisons d’édition indépendantes spécialisées, l’autoédition ou la littérature en ligne pour ce qui est de la diversité.

« Il existe des textes qui sortent de ce format classique : les romances «M/M», qui se déclinent également en romances érotiques et mettent en scène les relations entre deux hommes. De même que la romance africaine-américaine, aux États-Unis le M/M est un sous-genre établi de la romance, tandis qu’il demeure une niche en France, dont l’avenir est incertain: Livres Hebdo rapportant que l’un des rares éditeurs français ayant consacré une collection à ce domaine, Milady, a décidé de l’arrêter. »

Béja Alice (2019). La new romance et ses nuances : Marché littéraire, sexualité imaginaire et condition féminine. Revue du Crieur, 12, 106-121.

Les médias et la culture populaire finissent toujours par refléter les avancées dans la vraie vie, donc peut-être que d’ici quelques années, nous aurons de plus en plus de romances inclusives, qui se revendiquent féministes et qui proposent d’autres schémas, moins archaïques que ceux que l’on a eu jusqu’à maintenant.

L’autoédition est déjà une bonne alternative, car les auteurices n’ont pas besoin de se conformer aux normes ou lignes éditoriales des maisons d’édition françaises, ce qui permet de proposer beaucoup plus de diversités dans ces représentations de la romance, des expériences sexuelles et du couple.

« Les violences sexuelles, le harcèlement, la place des femmes dans l’espace public, le consentement, les zones grises de la séduction et de la relation sont devenus des sujets de discussion, de débat, et participeront à la mise en place de nouvelles normes, d’un nouveau mainstream, dont la culture populaire se nourrira. Et si le prochain filon, c’était la romance féministe ? » 

Béja Alice (2019). La new romance et ses nuances : Marché littéraire, sexualité imaginaire et condition féminine. Revue du Crieur, 12, 106-121.

Conclusion

Les mœurs et les mentalités évoluent petit à petit.

Ce qui était acceptable auparavant ne l’est plus aujourd’hui. Il faut laisser le temps à ce genre littéraire d’évoluer, car il en a les capacités. Après tout, on est passé des romances de type bodice rippers, où le viol était normalisé et romantisé avec des héroïnes passives, à des héroïnes qui n’acceptent plus qu’on leur manque de respect et où le viol est généralement proscrit de ces histoires par la plupart des maisons d’édition (ou alors relayé au genre Dark Romance, mais c’est encore un autre débat).

Je ne dis pas qu’on ne retrouve plus aucune représentation négative, loin de là, mais on sent malgré tout une évolution si l’on compare à ce qu’on trouvait il y a une dizaine d’années.

Tout comme le reste des productions culturelles, la littérature érotique commence à refléter les changements présents dans la société. Il y a des montées de prise de conscience, et les lectrices, tout comme les autrices, sont de plus en plus alertes sur tout ce qui est problématique, et laissent de moins en moins passer les choses douteuses (le viol du personnage masculin par l’une des héroïnes des Chroniques de Bridgerton est un exemple intéressant des choses qui choquent aujourd’hui mais dont ce n’était pas le cas à l’époque de sa publication).

De même, on peut espérer qu’à terme, les personnages LGBTQIA+, handi ou racisés ne seront plus réservés à un genre de niche, mais seront aussi plus présents dans des romances plus mainstreams, et surtout, représentés avec justesse.

« Romance novels are as feminist, or anti-feminist, as anything else in our society: namely, that it depends on the novel, but most of the novels we’re talking about are produced within a society that is heteronormative and patriarchal (and most privilege whiteness, as well). »

“A genre centered on women, written primarily by women, and consumed mainly by women cannot be ignored because it can teach us about what women want. « 

Luther Jessica – Beyond Bodice-Rippers: How Romance Novels Came to Embrace Feminism https://www.theatlantic.com/sexes/archive/2013/03/beyond-bodice-rippers-how-romance-novels-came-to-embrace-feminism/274094/

Sources

Béja Alice (2019). La new romance et ses nuances : Marché littéraire, sexualité imaginaire et condition féminine. Revue du Crieur, 12, 106-121.

Damian-Gaillard Béatrice (2011), « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », Questions de communication, 20 | 317-336.

Fraysse Mélie et Garcia Marie-Carmen (2019), « Les Thug Love : des romans sentimentaux à l’épreuve de la classe et de la race », Genre en séries [En ligne], 9 | mis en ligne le 01 mai 2019.

Luther Jessica – Beyond Bodice-Rippers: How Romance Novels Came to Embrace Feminism https://www.theatlantic.com/sexes/archive/2013/03/beyond-bodice-rippers-how-romance-novels-came-to-embrace-feminism/274094/

Radway Janice (1984), Reading the Romance. Women, Patriarchy and Popular Litterature, Chapel Hill/Londres, The University of North Carolina Press.

Zaganiaris, Jean. « ‪« Des filles au masculin, des garçons au féminin ? » : ambivalences du genre et sexualités non normatives dans la littérature érotique contemporaine‪ », Questions de communication, vol. 31, no. 1, 2017, pp. 415-432.

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