Travailler ses antagonistes

Des antagonistes peuvent être marquants, tout comme ils peuvent être tout à fait oubliables.

Bien souvent, l’une des raisons pour lesquelles un antagoniste ne fonctionne pas, c’est parce que sa motivation n’a pas été assez travaillée.

Mais cela peut aussi être lié au fait qu’il n’est pas assez bien caractérisé, qu’il a une psychologie bancale, voire que son impact sur l’histoire n’est qu’anecdotique.

Dans cette publication, nous allons aborder quelques pistes de réflexion pour essayer de donner du relief à votre antagoniste.

Les motivations

Lorsque vous donnez une motivation à votre antagoniste, il faut déterminer quelles sont les valeurs qui l’animent, et jusqu’où il est prêt à aller pour atteindre son but.

Admettons qu’il désire du pouvoir, mais que sa famille est aussi très importante pour lui. Est-ce qu’il serait prêt à sacrifier un membre de sa famille pour atteindre son objectif ?

Les échelles de motivation vont être ce qui fait la différence avec le protagoniste. L’antagoniste est prêt à faire des choses que le protagoniste serait peut-être incapable d’envisager, et c’est cette différence d’échelle qui crée une menace pour votre personnage principal.

Mais vous pouvez très bien aussi donner des limites à votre antagoniste. Il y a peut-être certaines choses qu’il ne sera pas capable de faire, car il les considère comme immorales selon sa propre perception, et cela peut être une source de conflit en lui et lui donner plus de profondeur.

De même, votre antagoniste n’est pas obligé de se dévouer qu’à un seul et unique objectif. Il peut en avoir plusieurs, et certains peuvent même entrer en conflit. Cela permet de faire des scènes où votre antagoniste doutera sur ses actions et cela approfondira sa psychologie tout en créant du suspense sur les décisions qu’il prendra.

Sa relation aux autres

Essayez de penser l’antagoniste en lien avec le protagoniste : qu’est-ce qui fait exactement que les deux sont en conflit ?

Généralement, c’est que leurs buts ne sont pas compatibles et ils s’empêchent donc mutuellement de les atteindre.

Si les valeurs de l’antagoniste ne sont pas intrinsèquement opposées à celle du protagoniste, alors il n’y a pas vraiment de raison pour qu’il soit l’antagoniste principal de l’histoire, et il peut être remplacé par n’importe qui d’autre. Il faudrait donc idéalement qu’ils aient des motivations très différentes, ou bien des motivations similaires mais dont les moyens d’arriver à leurs fins sont très différents.

Cela peut aussi être intéressant de montrer votre antagoniste en interaction avec d’autres personnages plutôt que seulement ses alliés ou le protagoniste. Un antagoniste peut aussi avoir une famille ou être intégré dans d’autres cercles sociaux qui n’ont rien à voir avec la quête du personnage principal. Cela permet de montrer ses actions sous un autre jour ; il est « humain » et est capable aussi de bonnes actions envers ses proches.

De même, il peut apparaître comme le « grand méchant » pour votre personnage principal, mais ne pas représenter grand-chose à une échelle plus large. Il pourrait par exemple très bien être en position de soumission vis-à-vis d’autres personnages.

Personnage passif vs actif

Les motivations de l’antagoniste se situent normalement quelque part sur une échelle entre motivation passive et motivation active.

Il sera passif si son but est d’empêcher le protagoniste d’atteindre son objectif, et actif quand l’antagoniste a un but personnel à atteindre et qu’il doit se débarrasser du héros pour y arriver.

Généralement, les antagonistes ne se situent pas à un extrême ou l’autre, mais plutôt quelque part entre les deux. Déterminer cela permet de voir l’impact qu’a l’antagoniste sur le protagoniste : une passivité donne à votre héros une capacité d’agir, tandis qu’un antagoniste actif va être une menace permanente pour le personnage. C’est donc à vous de jauger en fonction des besoins de votre intrigue.

Le « good guy villains »

On voit souvent parmi les conseils d’écriture que l’antagoniste doit penser que c’est quelqu’un de bien, mais ce n’est pas forcément obligatoire.

Oui, ça peut être le cas et ça lui donne de la crédibilité dans ses actions, mais certains peuvent être aussi très bien être conscients du mal qu’ils font. C’est normal d’avoir des doutes concernant ce qu’on fait, et notre protagoniste en aura forcément, donc c’est naturel que l’antagoniste en ait aussi.

D’autres vont dire qu’un antagoniste fonctionne si le lectorat est satisfait lorsqu’il est vaincu, mais ce n’est pas forcément obligatoire non plus (il y a de nombreux exemples avec des méchants qui sont presque préférés aux protagonistes).

Les good guy villains sont surtout utiles si vous voulez ajouter un côté tragique à l’histoire, car le lectorat pourrait ne pas vouloir que lui ou le héros perde.

Le cas des histoires où le monde est en danger

Gérer la tension et les enjeux est également important lorsque le but de votre antagoniste est de détruire le monde.

À un certain point de l’histoire, les enjeux seront tellement hauts que le protagoniste pourra être confronté à un moment de « do or die ». Et c’est ce moment qui est censé déterminer si le protagoniste arrivera à sauver le monde ou non.

Le problème est que l’on est tellement habitué aux happy ends, que l’on se doute que l’antagoniste va échouer. Pour que cette tension soit plus efficace, plutôt que l’axer sur le sort du monde, vous pouvez essayer de la faire dévier vers le destin des personnages impliqués (par exemple, est-ce que les personnages secondaires ou l’antagoniste vont survivre ?). Les lecteurices sont de toute façon plus attachés à des personnages précis qu’à une vague population qui représente « le monde ».

Faire un antagoniste « nécessaire » au protagoniste

L’une des façons de rendre votre antagoniste mémorable est de le rendre « nécessaire » au développement du personnage principal. Certain·es auteurices pensent que l’antagoniste devrait d’ailleurs être la seule personne au monde capable de mettre en relief les plus grandes faiblesses du protagoniste. C’est généralement ce qui pousse le protagoniste à vaincre ses faiblesses s’il ne veut pas être anéanti par son ennemi.

Cette « nécessité » peut se manifester de trois façons : de manière idéologique, structurelle ou similaire.

La nécessité structurelle

C’est lorsque le protagoniste et l’antagoniste veulent la même chose. Les enjeux sont établis dès le départ, et généralement seul l’un des deux survivra à la fin. On revient aux personnages passifs et actifs, où les personnages actifs vont changer la direction de l’histoire, tandis que les personnages passifs réagissent à ce changement d’histoire.

À un moment de l’histoire, vous pouvez montrer que l’antagoniste est la pire personne pour votre héros, et qu’elle le blesse d’une manière que personne d’autre ne pourrait faire. Si c’est au début, cela permet de montrer comment le héros va gérer les conséquences de ce traumatisme, tandis que si vous le placez vers la fin, cela crée de la tension, car le lectorat se demandera si cela finira par arriver ou non au protagoniste.

La nécessité idéologique

Donner des idéologies opposées à vos personnages permet certes de les caractériser, mais elles ont de l’intérêt surtout si elles amènent à des conflits. Des valeurs idéologiques en conflit permettent de donner plus de complexité narrative, d’ajouter un fil dramatique avec un thème, mais aussi du développement aux personnages, car ils réexamineront constamment leurs valeurs pour savoir jusqu’où ils peuvent respecter ce en quoi ils croient pour vaincre leur adversaire.

En général dans ce genre d’histoire, lorsque l’antagoniste est vaincu à la fin, le personnage principal réalise quelque chose à propos de lui ou de sa philosophie de vie, mais votre antagoniste pourra lui aussi prendre conscience de certaines choses (sans forcément le faire entrer dans un arc de rédemption).

La nécessité similaire

Pour que les lecteurices différencient bien les personnages dans l’intrigue, vous pouvez essayer de contraster les personnages entre eux (par exemple, un personnage compense les défauts de l’autre ce qui permet de créer une sorte d’équilibre et donner des batailles incertaines).

Mais vous pouvez aussi leur donner des points communs qu’ils n’utilisent pas de la même façon comme des pouvoirs, des capacités, des personnalités, des croyances, ou encore une backstory commune.

L’une des tendances actuelles est d’ailleurs le trope du fameux « we’re not so different you and I » en proposant un antagoniste et un protagoniste presque similaires, et à peu de choses près, le héros aurait pu finir comme son ennemi.

Mais vous pouvez aussi les rendre complètement différents et faire cela de manière intéressante. Ce type de nécessité permet aux personnages une plus grande marge de changement ou de les pousser à sortir de leurs zones de confort ; leurs tactiques habituelles ne marchent pas, il faut donc qu’ils utilisent une autre stratégie, qui peut parfois amener à faire des choix immoraux.

Depuis une dizaine d’années, on a beaucoup d’antagonistes gris avec des buts admirables, mais des moyens questionnables, en réponse à toute la tradition d’antagonistes malfaisants que l’on a eu en littératures de l’imaginaire. Pour essayer de créer un antagoniste complexe, l’un des conseils bien connus est d’essayer de le penser comme le protagoniste de sa propre histoire. Mais vous pouvez aussi très bien faire un méchant iconique, car certains d’entre eux fonctionnent auprès du lectorat bien qu’ils n’aient pas forcément une psychologie complexe.

La confrontation finale

Généralement, la confrontation finale répond à un conflit primaire et à un conflit secondaire. Le conflit primaire est la « confrontation visuelle » (en gros, c’est de savoir qui est le plus fort), tandis que le conflit secondaire est la « bataille interne« , liée à un personnage ou à un thème, et qui cristallise le changement du personnage en lui permettant de l’emporter.

Le protagoniste gagne généralement l’un ou l’autre des conflits, mais il peut aussi très bien n’en gagner aucun (par exemple Frodon à la fin du Seigneur des Anneaux).

Ces conflits permettent de lier le climax à l’arc des personnages en chargeant émotionnellement leur évolution, tout en donnant un poids narratif qui va changer l’état du monde.

Il faudrait d’ailleurs éviter que ces conflits ne sortent de nulle part, mais qu’ils soient intégrés à l’histoire et à l’arc du personnage.

John Truby dans L’Anatomie d’un scénario donne 3 éléments pour construire un personnage :

– une faiblesse ;

– un besoin psychologique (le personnage doit le combler pour être épanoui) ;

– un besoin moral (quelque chose qui affecte les gens autour de lui et qu’il doit changer pour être plus épanoui).

Ce sont les trois aspects inhérents au personnage qui connectent le début de l’histoire à la bataille finale. Ces éléments aident à créer un personnage complexe dont on pourra constater l’évolution à la fin de l’histoire. Vous pouvez donc par exemple envisager votre antagoniste comme un « protagoniste raté » qui échoue à accomplir ses besoins et vaincre ses faiblesses.

En général, un peu avant l’acte 3, le protagoniste comprend enfin qui il est vraiment et ce qui compte vraiment pour lui. Après cette réalisation, le personnage décide de mettre en place les bonnes actions pour mener à bien la victoire.

Cette « révélation de soi » qui conduit à une nouvelle ligne de conduite lorsque la tension est élevée peut donner de la crédibilité à ce changement chez ce personnage, car il y a plus que simplement perdre ou gagner. La bataille finale est le point de tension le plus élevé de l’histoire, et donc placer ce moment-là fonctionne particulièrement bien.

Parfois, le héros se range finalement du côté du mal dans le deuxième acte et le dernier acte est un arc de rédemption pour éviter que le lectorat soit déçu. Mais vous pouvez très bien aussi faire de votre protagoniste un fallen hero en le faisant devenir à la fin celui qu’il ne voulait surtout pas être.

Conseils en vrac

– Évitez de montrer les motivations de votre antagoniste dans un long monologue : c’est le trope du Evil Gloating et c’est devenu un cliché qui risque de faire rouler des yeux votre lectorat. C’est généralement mieux de montrer les motivations à travers les descriptions ou l’introspection plutôt qu’à travers un long monologue.

– Si votre antagoniste a pour motivation « le pouvoir », essayez de trouver la raison sous-jacente à ce désir. Vouloir simplement du « pouvoir » est assez vague et ne permet généralement pas de donner de profondeur à votre antagoniste. Si une personne souhaite être puissante, c’est souvent qu’il y a une autre raison derrière.

– Votre antagoniste peut tout à fait évoluer au cours de l’histoire, et cela peut donc être une bonne idée de lui faire un arc de personnage à lui aussi.

Conclusion

Pour résumer, lorsque vous construisez votre antagoniste, essayez de travailler ses motivations, de déterminer quel poids il est censé avoir dans l’intrigue ou encore les différents liens qu’il peut avoir avec votre protagoniste.

Cette relation devra généralement être jalonnée de conflits qui prendront des formes différentes en fonction des choix que vous ferez, et trouvera son climax dans la confrontation finale, qui cristallisera l’évolution de votre protagoniste et de votre antagoniste.

La plupart de ces conseils s’appliquent surtout si vous écrivez votre antagoniste qui évolue au cours de l’histoire, mais comme évoqué, vous pouvez très bien créer un méchant dit « iconique » qui n’évoluera que très peu voire pas du tout durant l’intrigue, et si ce personnage fonctionne bien, le manque de développement pourra donner une impression de mystère.

Ces pistes s’appliquent aux antagonismes qui sont humains (ou des êtres vivants de manière générale), mais il peut aussi très bien ne pas y avoir d’antagoniste du tout dans votre histoire, mais plutôt des « forces antagonistes ». C’est-à-dire que les conflits principaux seront causés par des facteurs environnementaux (situation politique, une inégalité de classe sociale, etc.) ou bien être internes aux personnages (blocages psychologiques, préjugés, etc.).

Les points évoqués dans ces deux publications viennent en grande partie de l’ouvrage On writing and worldbuilding de Timothy Hickson dont les conseils me paraissaient assez pertinents, donc je me suis permis de les traduire et d’en faire un petit résumé. J’ai aussi ajouté d’autres conseils tirés d’articles ou d’autres livres dans le thème  que vous pouvez retrouver dans les sources !

Évidemment, si certaines de ces pistes ne vous parlent pas ou ne s’appliquent pas à votre histoire, n’en tenez pas compte, l’important est d’avoir des outils qui stimulent votre imagination, pas qui la bloquent !

Attention également à ne pas tomber dans certains clichés problématiques de méchants, que j’ai listé ici !

Sources

On Writing and worldbuilding de Timothy Hickson

Cours de Brandon Sanderson à la BYU

https://www.masterclass.com/articles/how-to-write-an-unforgettable-villain-tips-for-writing-a-great-villain-for-your-novel-or-short-story#what-are-the-characteristics-of-a-good-villain

https://www.writingbeginner.com/21-ways-to-write-a-complex-villain/

3 commentaires sur « Travailler ses antagonistes »

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