Ecrire sur le handicap

La définition que l’on trouve dans les dictionnaires désigne le handicap comme « une limitation d’activité ou restriction de la participation à la vie en société subie par une personne en raison d’une altération d’une fonction ou d’un trouble de santé invalidant. »

La définition militante quant à elle serait plutôt qu’un handicap en est un parce que les sociétés occidentales sont construites autour de valeurs mettant en avant la productivité et qu’elles restent très frileuses en matière de politique d’inclusivité pour faciliter la vie des personnes concernées. On demande à des personnes différentes d’une norme validiste et arbitraire de s’adapter à une société qui les exclut.

De plus en plus d’œuvres tendent à inclure des personnes en situation de handicap, mais la plupart du temps, les représentations proposées sont assez limitées, souvent maladroites, voire dans certains cas offensantes comme nous allons le voir avec cette petite sélection de tropes.

Les tropes liés aux handicaps visuels

Blind Black Guy : C’est un trope qui avait une origine plutôt noble en voulant intégrer un peu d’intersection aux représentations. Le problème est que ce trope est devenu populaire au point où ce sont beaucoup trop souvent des hommes noirs hétérosexuels qui sont présentés comme aveugles. Vous pouvez tout à fait créer un personnage à l’intersection de plusieurs représentations, mais vous n’êtes pas obligé de vous cantonner à ce trope précis.

Blind Seer (une personne aveugle peut voir le futur) + Prophet Eyes (des yeux avec une cataracte extrême) : La combinaison de ces deux tropes est extrêmement commune. La cécité est souvent représentée par des yeux voilés ou très blancs, mais ce ne sont pourtant pas les seules façons dont elle se manifeste. Évidemment, il y a un pseudo symbolisme derrière ce genre de personnage, mais à force, le message est bien passé et c’est surtout devenu un cliché.

Eyepatch of Power : c’est lorsqu’un personnage borgne cache son handicap avec un cache-œil. Quand on vous présente un personnage avec cet accessoire, généralement vous pouvez vous attendre à ce qu’il soit très doué en combat. C’est donc un trope qui va souvent de pair avec celui du Handicaped Badass, où, malgré son handicap, le personnage est extrêmement fort. C’est l’un des handicaps les plus romancés, car il y a une sorte de fétichisation autour, où les personnages avec un cache-œil sont présentés comme attirants. Il y a d’ailleurs de plus en plus de subversions ou de parodies qui vont dans ce sens en présentant des personnages qui portent un cache-œil pour le style bien qu’ils aient les deux yeux valides.

C’est une sorte de variante du Blind Weaponmaster, qui désigne un personnage aveugle, mais qui est extrêmement fort au combat au corps à corps.

Les tropes et les fauteuils roulants

Il y a une fascination étrange autour des fauteuils roulants dans la culture populaire comme en témoignent ces différents tropes :

Wheelchair Antics : C’est lorsque le ressort humoristique de l’œuvre repose sur un personnage en fauteuil roulant. Le personnage sera montré en train de faire des courses ou des figures avec sa chaise.

Super Wheelchair : C’est lorsque les fauteuils roulants deviennent farfelus, avec des lasers, des missiles ou des armes attachées.

Wheelchair Woobie : À l’inverse, c’est lorsqu’un personnage est en fauteuil roulant surtout pour inspirer la pitié du public, réduisant l’objet et le personnage à de simples outils dramatiques.

Genius cripple : c’est lorsqu’un personnage en fauteuil roulant doit forcément être doté d’une intelligence extrême pour compenser le fait qu’il soit handicapé. Le genre de cliché culpabilisant pour les personnes qui ne répondent pas à ce stéréotype.

Les tropes en lien avec « la maladie »

Le trope du Soap Opera Disease est extrêmement populaire. Ce sont les personnages malades sans qu’on sache vraiment ce qu’ils ont : ils sont dans le coma ou bien conscients mais ne quittent jamais leur lit.

C’est un trope qui rejoint souvent celui du Ill Girl car les malades alités sont fréquemment des femmes.

À noter qu’elles restent belles même dans la maladie caractérisée, au pire, par une pâleur (exit les symptômes « pas glamours » comme les diarrhées, les éruptions cutanées ou les pertes de cheveux), car le trope maître qui l’emporte sur les autres sera toujours le Women are delicate. La Ill Girl aura occasionnellement de la fièvre ou des quintes de toux (Incurable cough of death) pour montrer que son état empire, mais rien de plus.

Les malades sont des femmes, car c’est une « bonne » motivation à mettre sur la fiche personnage du héros pour trouver un remède à leur sœur/mère/fille/femme (le lieu commun ici est « un homme doit protéger/sauver les femmes »). Encore une fois, on cherche à utiliser les personnages féminins comme simple ressort narratif, plutôt que comme des personnages à part entière. Elles sont caractérisées uniquement par le fait d’être malades et délicates.

Il y a beaucoup d’autres clichés généralement associés à la Ill Girl, comme le fait qu’elle soit pure et innocente, qu’elle mourra le sourire aux lèvres, ou le fait qu’elle rassurera son entourage que c’est « juste un rhume » (Definitely just a cold) avant de tousser du sang dans un joli mouchoir en tissu. Elle aura souvent un châle ou un plaid autour des épaules (Illness Blanket), car c’est la seule façon imagée pour les créateurices de signifier qu’elle est malade sans la montrer avoir des symptômes qui entacheraient son image éthérée.

Cette sacralisation des filles malades rejoint le trope du Too Good for This Sinful Earth où les femmes décrites comme la quintessence de la douceur, de la beauté et de la bonté, vont souvent être tuées pour susciter des émotions chez le public.

Un trope similaire au Kill the Cutie, qui lui, nous présente un personnage adorable et attachant et dont son utilité principale est d’être tuée au cours de l’intrigue, toujours pour jouer avec nos sentiments (et donner une motivation aux personnages masculins).

L’origine de ces tropes prendrait place fin XIXe où ils ont été popularisés avant de s’implanter durablement dans la culture populaire occidentale. Le trope du Victorian Novel Disease, désigne les nombreux personnages féminins des romans de l’ère victorienne qui souffrent d’un mal souvent non identifié et qui sont présentés comme fragiles.

La féminité est alors durablement associée à la fragilité, avec des personnages qui s’évanouissent facilement, deviennent fiévreux à la moindre contrariété et qui sont souvent alités.

Mais c’est surtout une féminité qui s’est construite en opposition à celle associée aux classes paysannes de l’époque. Peu avant l’ère victorienne, les paysans connaissaient surtout la famine et cela se voyait sur leurs corps maigres ; les normes de beauté nobles ont donc mis à l’honneur l’opulence sous toutes ses formes. Tandis qu’à mesure que la situation économique des paysans s’est stabilisée dans le temps, les normes de beauté se sont ensuite concentrées sur la fragilité en opposition à la « robustesse » acquise des classes paysannes.

Les normes de beauté sont fluctuantes au cours des époques et cela se ressent donc également dans les œuvres culturelles.

Les tropes liés à la romance

Disabled Love Interest : C’est lorsque le personnage principal (généralement un homme) est intéressé par un personnage handicapé (généralement une femme). Il y a une sorte de romantisation des relations avec des femmes présentant un handicap, qui flirte parfois avec la codépendance affective, où le héros croit que la femme a besoin de lui pour être épanouie et subvenir à ses besoins. Étrangement, l’inverse est beaucoup plus rare.

C’est un trope qui va souvent de pair avec celui du Speech-Impeded Love Interest (un personnage est muet ou a des difficultés à s’exprimer) ou le Ill girl (une femme avec une maladie, grave ou non). Ces tropes-là sont également similaires à celui du Cute Mute (un personnage muet présenté comme mignon) par le fait qu’ils peuvent parfois avoir tendance à fétichiser ces handicaps, qui sont d’ailleurs beaucoup plus souvent associés aux femmes.

De la même façon, les personnages handicapés sont souvent des intérêts amoureux temporaires, comme s’ils ne pouvaient être la « bonne personne » pour le personnage principal. Ils sont souvent utilisés dans ces cas-là juste pour donner une morale « inspirante » à l’histoire, en attendant que le personnage trouve son véritable âme sœur.

À l’inverse, certains personnages réussissent parfois à se débarrasser de leur handicap, justement grâce à l’amour du héros, ou simplement en « faisant un effort » (comme si tout était une question de volonté pour aller mieux). Des personnages retrouvent la vue de cette façon, sont à nouveau capables de marcher, ou plus communément, se débarrassent d’un trouble psychique.

Ce genre de résolution laisse un message sous-jacent peu reluisant, et suggère que le héros ne peut pas finir avec un personnage handicapé et que la seule solution était donc de faire disparaître le handicap (quand ce n’est pas directement le personnage qui meurt avec le trope du Bury Your Disabled.)

Les tropes liés à la guérison

Cette volonté de chercher à se débarrasser des handicaps des personnages est très répandue, ce qui a donné lieu à de nombreux tropes qui sont deviennent problématiques à cause de leur prédominance.

Le Disability-Negating Superpower en fait partie. C’est lorsqu’un personnage peut obtenir un superpouvoir en échange de son handicap. On est ici toujours dans la fâcheuse tendance à vouloir effacer à tout prix le handicap des personnes. Le problème ne réside pas forcément dans ces tropes en tant que tels, mais c’est surtout qu’insister sur la guérison des handicaps est devenu l’une des représentations majoritaires, et ça ne laisse clairement pas un message optimiste pour certaines personnes qui ne pourront jamais en guérir. Certains handicaps le sont à vie, et pourtant, la pop culture cherche à tout prix à populariser le fait qu’ils peuvent être « guéris » par tout un tas de moyens pas forcément crédible (amour, magie, volonté, etc.).

Le trope du Disability superpower est lorsqu’un handicap permet d’avoir un superpouvoir ou de développer de capacités extrasensorielles pour s’adapter. En général, les créateurices aiment bien faire ça avec les personnages aveugles qui vont compenser leur cécité avec d’autres sens.

Une variante est le Curse that cures (la malédiction qui guérit) où le personnage sera frappé d’une malédiction qui réglera son ancien problème. C’est par exemple souvent utilisé dans les histoires de vampire, où le personnage n’a pas envie de devenir un vampire même si ça le sauve d’une maladie ou d’un accident grave.

C’est un trope différent du Cursed with Awesome qui désigne plutôt le fait d’être « frappé d’un handicap » qui sera clairement un avantage pour le personnage (plusieurs superhéro·ïnes tombent dans ce trope par exemple).

Les tropes et le manque de réalisme

Dans la même veine, on a aussi le Dismemberment Is Cheap où les personnages qui perdent une partie de leur corps (au cours d’un combat par exemple) vont la voir repousser grâce à la magie ou la science. Ce trope désigne aussi le fait qu’ils peuvent se procurer une prothèse parfaite très facilement pour compenser leur handicap. Ici, on évite à tout prix de rendre son personnage handicapé grâce à des moyens qui défient toute logique.

Ce trope est assez similaire à celui du Plug ‘n’ Play Prosthetics qui désigne la facilité déconcertante avec laquelle les personnages arrivent à mettre leur prothèse. Malheureusement dans la vraie vie, il y a plus d’étapes que de simplement clipser la prothèse pour la mettre.

Toujours pour rester dans le thème des prothèses, Good Prosthetic, Evil Prosthetic, est la tendance à attribuer des prothèses réalistes aux personnages du côté du « bien », et des prothèses absurdes aux méchants. (Attention également si vous décidez de faire un méchant handicapé, j’ai écrit un article sur les maladresses à éviter concernant les antagonistes.)

Les tropes et les méchant·es handicapé·es

Il y a également de nombreux tropes qui diabolisent les personnes handicapées, comme si le fait d’être handicapé enlevait en même temps notre humanité :

Evil Cripple : le trope de base qui désigne un·e méchant·e handicapé·e. Son handicap est souvent utilisé pour justifier sa cruauté.

Eunuchs are evil : les hommes castrés sont généralement décrits comme mauvais et fourbe (un trait qui serait associé à la féminité), comme si le fait de perdre son organe génital entraînait forcément ces deux caractéristiques. Un trope pour le moins assez sexiste.

Dark Lord on Life Support : c’est lorsque la vie du méchant est maintenue par un système particulier. La seule façon de le tuer revient généralement à le couper de ce dispositif (cela peut-être un dispositif médical tout comme une forme de magie). C’est généralement utilisé pour renforcer le pathétique du personnage.

Mental Handicap, Moral Deficiency : C’est lorsqu’une personne qui présente un trouble ou un handicap psychique est décrite comme méchante.

Les tropes narratifs

Neurodiversity is supernatural désigne le fait qu’être neurodivergent (mais on voit ça aussi avec certains troubles psychiques) confère des superpouvoirs ou permet de voir des choses surnaturelles.

Dans Percy Jackson par exemple, le fait d’être un demi-dieu peut parfois être corrélé à la dyslexie et/ou à un TDAH. Ce trope regroupe aussi les personnes décrites comme autistes (ou plutôt l’autisme version Hollywood) qui ont des pouvoirs télékinésiques, les personnes en dépression à la suite d’un deuil qui voient des fantômes, etc.

C’est une façon fantasmée pour les créateurices d’envisager ce qui est différent en cherchant à trouver une explication « logique » à ce qui sort de la norme.

Ce trope n’est pas forcément problématique en soi, mais il est souvent utilisé de façon bancale et laisse le message qu’une aide appropriée comme une thérapie et/ou médication ne serait pas souhaitable pour les personnages car elle leur enlèverait leurs pouvoirs (quand les « méchants » de l’intrigue ne sont pas simplement des scientifiques ou du personnel médical).

Inspirationnaly Disadvantaged

Enfin, il faut également noter que le handicap de manière générale est souvent utilisé comme un outil narratif, plus que pour proposer des représentations justes. Le trope du Inspirationally Disadvantaged désigne justement cette tendance.

Cela peut se faire de plusieurs façons, comme le fait de montrer un personnage handicapé comme « héroïque » parce qu’il doit mettre plus d’effort pour accomplir une tâche ordinaire. La militante Stella Young qualifie cela d’inspirational porn car c’est une façon d’objectiver les personnes handicapées pour que les personnes valides se sentent mieux, en se disant qu’heureusement, elles, sont « normales ».

Cela peut aussi passer par le fait de montrer des personnages handicapés « au-dessus du lot » parce qu’ils excellent dans un domaine. Cela tend à renforcer la croyance qu’une personne puisse tirer une force de son handicap en se dédiant à un domaine de l’art ou du handisport, et culpabilise par la même occasion les personnes handicapées qui aspirent simplement à une vie la plus « normale » possible sans chercher à devenir les meilleures dans une discipline.

Enfin, il y a aussi la tendance à utiliser un personnage handicapé uniquement pour faire comprendre une leçon de morale ou influencer le héros. Ces personnages servent souvent à titiller la corde sensible du lectorat valide, en les faisant se sentir « inspiré » par ce personnage sans pour autant remettre en question la façon dont la société est pensée en rapport au handicap.

Conclusion

Les représentations du handicap sont bien souvent teintées de validisme, car reproduisent les mêmes biais de la société qui tendent à invisibiliser tous les handicaps. C’est donc très rare qu’un personnage qui deviennne handicapé au cours d’un récit le reste jusqu’au bout, tout simplement car, dans l’imaginaire commun, ce n’est pas souhaitable ni « cool » pour un héros ou une héroïne d’être handicapé·e, et c’est un des gros problèmes des représentations actuelles.

On a également une vision très binaire du handicap en termes de genre, avec d’un côté des personnages masculins handicapés souvent connotés au ridicule ou à la méchanceté, alors que les personnages handicapés féminins seront presque fétichisés et/ou présentés comme des petites choses à protéger. Les personnes handicapées aussi peuvent être concernées par la non-binarité, et elles sont d’autant plus invisibilisées.

D’autres auteurices tombent dans l’inverse en cherchant à proposer des récits « inspirants », mais le font de manière très bancale et tombent dans l’inspiration porn, qui est loin d’être souhaitable non plus en matière de représentation. Les personnages handicapés ne devraient pas être des outils narratifs pour susciter des émotions chez le public, faire passer des messages inspirants ou conforter les personnes valides.

Enfin, il y a une tendance problématique à se servir du handicap comme ressort humoristique ou à justifier les motivations des méchant·es.

C’est pour cette raison si l’on souhaite vraiment écrire sur le handicap en n’étant pas concerné·e, il faut faire énormément de recherches, suivre des comptes militants, échanger avec des concerné·es et surtout faire une relecture par des sensitivity readers qui vivent précisément le handicap sur lequel vous écrivez.

Pour conclure, un trope en soi n’est pas forcément problématique, c’est surtout l‘usage que vous en faites ou si vous décidez de le subvertir ou non. Certains d’entre eux ont en revanche tellement été utilisés qu’ils sont devenus des clichés et proposent des représentations négatives et sont donc plutôt à éviter.

Et comme pour tous les autres personnages minorisés que vous écrivez, ne tombez pas dans le tokénisme en réduisant un personnage seulement à une unique particularité !

N’oublions pas non plus qu’une grande majorité des handicaps sont en réalité « invisibles » (c’est surtout les personnes valides qui ne veulent pas les voir), mais peuvent être tout aussi handicapants au quotidien pour ces personnes. On tend beaucoup à dépeindre les handicaps visibles, mais mis à part les troubles psychiques, la plupart de ces handicaps invisibles sont encore très peu représentés dans les œuvres culturels.

Ce n’était qu’une toute petite sélection de tropes en lien avec le handicap, donc je vous invite vivement à consulter la page Disability Tropes de TV Tropes qui listent ceux que l’on retrouve le plus dans les œuvres culturelles avec pleins d’exemples.

Si vous voulez plus d’informations au sujet des réalités sociales du handicap, je vous conseille la chaîne YouTube de Alistair – H Paradoxae qui rend accessible tout un tas d’informations.

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