La bisexualité est un spectre d’orientation sexuelle qui désigne une attirance pour deux genres ou plus. Il y a plusieurs nuances sur ce spectre, qui se regroupent pour certaines sous différentes appellations comme la pansexualité, l’ambisexualité, la novosexualité, enbian, etc (Dans cet article, nous utiliserons le terme bisexualité pour regrouper toutes ces appellations).
Un spectre veut donc dire que chaque personne se positionne de manière différente dessus et qu’elle n’aimera pas forcément chaque genre de manière égale, tout comme cette attirance peut être fluctuante au cours du temps.
Et pourtant, malgré cette diversité, on retrouve souvent les mêmes représentations lorsqu’il est question de représenter les personnes bisexuelles.
Pour bien comprendre en quoi ces représentations sont problématiques, nous devons tout d’abord revoir brièvement les différentes discriminations dont peuvent souffrir les personnes bisexuelles.
Formes de discriminations
L’une des principales violences auxquelles les personnes bisexuelles se heurtent est la négation de leur orientation sexuelle : pour encore beaucoup de personnes dans l’imaginaire commun, la bisexualité n’existerait pas et ne serait donc qu’un effet de mode, ou bien une phase pour les personnes qui se cherchent. Il y a également une présomption que les bis seraient en réalité des gays ou des lesbiennes « refoulé·es ».
Les femmes bisexuelles souffrent également d’un stigmate qui suggère qu’elles disent l’être uniquement pour être « intéressante aux yeux des hommes ».
Il y a donc une volonté de délégitimer cette orientation, ce qui participe à son invisibilisation.
Cette stigmatisation peut amener les personnes bisexuelles à souffrir de problèmes de santé mentale. L’étude de Hannah J. Johson*, a même montré que les stéréotypes dont souffraient les personnes bisexuelles relayées dans les médias (hypersexualisation, etc.) ont un impact sur la prise en charge de leur santé physique et mentale.
Une étude menée aux USA en 2011 (LGBTQ Stats) montrait que près de la moitié de la communauté LGBTQIA+ s’identifiait comme bisexuel.
Pourtant, cela ne les empêche pas de subir des discriminations au sein même de ces communautés.
Iels peuvent être par exemple victimes de monosexisme (le fait de considérer comme supérieure l’attirance pour un seul sexe) lorsqu’iels sont en couple avec une personne du genre opposé, car iels bénéficieraient des privilèges des relations hétérosexuelles.
Cela peut également être l’une des raisons pour lesquelles seulement 27% des personnes bisexuelles seraient « ouvert·es » au fait de parler de leur orientation, contrairement aux personnes gays (77%) et aux personnes lesbiennes (71%).
Du fait des stéréotypes leur conférant une « hypersexualité » les personnes bisexuelles seraient plus souvent victimes de violences sexuelles et de viols.
LGBTQ Stats relate une étude de 2013 qui expliquait que :
– 46% des femmes bisexuelles ont été victimes d’un viol (contre 13% pour les femmes lesbiennes et 17% pour les femmes hétérosexuelles).
– 61% des femmes bi et 37% des hommes bi ont expérimenté des violences sexuelles (43% pour les personnes lesbiennes et 26% pour les personnes gays).
Ce préjugé renforcerait également les violences médicales à leur égard, en présupposant qu’iels seraient plus porteuses de MST que les autres personnes LGBTQIA+.
L’invisibilisation de la bisexualité
En 2015, le GLAAD a étudié la diversité des représentations à la télévision et a montré que sur les 70 personnages (c’est déjà très peu) apparentés à la communauté LGBTQIA+, 17% seraient des femmes bisexuelles contre 3% d’hommes bisexuels. Il y a donc un terrible manque de représentations de personnages masculins et les personnages féminins sont souvent utilisés pour le fanservice.
Le trope No Bisexuals est lorsque les orientations sexuelles des personnages seront décomposées uniquement de manière binaire comme hétérosexuelles/homosexuelles et que la bisexualité ne serait donc pas possible. Le Bi-Wildered en est un autre, où un des personnages se pose des questions sur son orientation sexuelle sans que la bisexualité ne soit jamais abordée et soit plutôt mise sur le compte de l’homosexualité.
Ces deux formes de représentations participent à l’invisibilisation de la bisexualité, en plus d’être monosexistes. À l’inverse, on a aussi des représentations qui visibilisent, mais véhiculent des stéréotypes négatifs :
Les stéréotypes négatifs
Le trope du Depraved Bisexual est lorsqu’un méchant·es est bisexuel·le. Comme avec les autres tropes dans le genre, on cherche à associer le côté « fou » du personnage à son orientation sexuelle. Lorsque le personnage est masculin, il sera souvent un Sissy Villain (les méchants « éfféminés »). Tandis que les femmes bisexuelles seront hypersexualisées et manipulatrices.
À cause du préjugé sur leur sexualité, les personnages bisexuels sont souvent associés au trope du Extreme Omnisexual, où le personnage est obsédé par le sexe.
Le trope du Pragmatic Pansexuality quant à lui désigne les personnages manipulateurs (espion·nes, politicien·nes, etc.) qui arrivent à leurs fins en couchant avec les personnes, peu importe le genre.
On retrouve également souvent un personnage bi qui va tromper son partenaire et/ou être polyamoureux et/ou friand de plans à trois. Pour rappel : une personne bi peut avoir des relations monogames saines, tout comme elle peut également être asexuelle.
Les représentations et stéréotypes
Le trope du But Not Too Bi est également très commun, où le personnage est décrit comme attiré par plusieurs genres, mais sera au cours de l’histoire montrée avoir uniquement des relations hétérosexuelles. Cela relève donc souvent d’un tokénisme, où le personnage est désigné comme tel uniquement pour proposer une fausse diversité.
On retrouve une variante de ce trope avec souvent des personnages féminins qui finissent à la fin de l’histoire avec un homme, comme si la bisexualité n’avait été qu’une passade et que l’amour véritable reposerait sur l’hétérosexualité (ce n’est pas tant cette représentation qui pose problème, mais le fait que ce soit surtout elle mise en avant, et souvent pas pour les bonnes raisons).
Conclusion
La plupart des études de représentations faites sur les personnages bisexuels montrent que plus que le manque de représentation, c’est surtout la diversité de ces représentations qui pose problème. Les personnages bi sont encore trop souvent réduits aux clichés évoqués ou à des personnages féminins.
Comme pour tous les personnages minorés, il ne faut pas chercher à faire un personnage réduit uniquement à une seule partie de son identité, mais créer des personnages complexes à part entière.
Il est donc important de prendre conscience des différents stéréotypes et discriminations qui pèsent sur les personnes bisexuelles afin de ne pas les perpétuer.
Pour cette publication je me suis appuyée sur des travaux qui, pour la plupart, commencent à dater d’une dizaine d’années et qui ont été réalisés aux États-Unis, donc les chiffres sont à prendre avec du recul, même s’ils peuvent être significatifs d’une réalité sociale à un lieu et à un moment donné.
Comme d’habitude, je rappelle que si vous écrivez sur un sujet sur lequel vous n’êtes pas concerné·e : faites des recherches, lisez des témoignages, échangez avec des personnes concerné·es, et faites-vous relire par des sensitivity readers.
Je rappelle également qu’un trope n’est pas forcément problématique en soi, c’est surtout l’usage que vous en faites, votre intention derrière ou si vous décidez de le subvertir ou non. Mais dans la mesure où il y a déjà beaucoup de représentations négatives sur la bisexualité, certains d’entre eux sont plutôt à éviter.
Sources
La plupart des données chiffrées sont tirées du livrre LGBTQ Stats : Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender and Queer People by the numbers de David Deschamps et Benett Singer. Certaines des données commencent un peu à dater, mais c’est une mine d’or pour avoir des statistiques sur plein de sujets différents.
Le blog La vie en queer et son article « Le spectre bisexuel »
Les pages TV tropes des tropes évoqués
La revue scientifique Journal of Bisexuality est centrée sur les recherches universitaires autour de la bisexualité donc si le sujet vous intéresse, c’est une des références à utiliser.
J’ai utilisé plusieurs de ces articles pour cette publication :
All Bi Myself: Analyzing Television’s Presentation of Female Bisexuality de Sarah Corey (2017)
Between a Gay and a Straight Place: Bisexual Individuals’ Experiences with Monosexism de Tangela S. Roberts (2015)
Attitudes Toward Bisexual Women and Men de Tania Israel et Jonathan J. Mohr (2008)
Bisexuality, Mental Health, and Media Representation de Hannah J. Johson (2016)