L’argument du réalisme historique et le manque de diversité

Le réalisme historique ou l’historicité, c’est quoi ?

C’est l’argument qui est souvent brandi pour critiquer l’inclusion de personnes minorées dans des récits qui s’inscrivent dans une période historique.

Il est utilisé par exemple pour critiquer les rôles de femmes combattantes, les personnages racisés ou queers dans un cadre médiéval, ou encore pour justifier des récits violents et/ou misogynes

Nous allons donc voir ensemble en quoi cet argument est souvent à côté de la plaque, aussi bien d’un point de vue rhétorique qu’historique.

Les dragons sont réalistes, mais pas les personnages minorisés ?

Si les publics minorisés en fantasy ne sont pas réalistes, pourquoi les dragons, les elfes ou la magie le seraient ? En fantasy, on écrit de la fiction. Pas un manuel d’histoire.

Et ça vaut aussi pour les romans « historiques ».

Vous n’étiez pas sur place, donc vous allez forcément inventer des dialogues entre les figures historiques ou romancer certains personnages ou événements.

Il y aura forcément des erreurs et des libertés prises, donc pourquoi accepter ce genre d’écart, mais pas celui d’inclure des personnages minorés ? Encore une fois, un roman est une fiction. Pourquoi peut-on prendre des libertés sur des choses et pas sur d’autres ?

Insérer de la diversité, c’est justement faire du réalisme historique.

Non, il n’y avait pas que des Blancs en Europe à l’ère médiévale.

Depuis la nuit des temps, il y a des voyages, des migrations, des colonisations, ou des échanges commerciaux entre les différents pays.

Les différentes orientations sexuelles, romantiques et les personnages à différents endroits sur le spectre du genre ne sont pas non plus subitement apparus au XXIe siècle. Pareil pour les personnes handicapées, neurodivergents ou souffrant de troubles psychiques.

Ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas forcément de mots pour les qualifier qu’ils n’existaient pas.

Les femmes combattantes ou avec des rôles forts semblent écorcher l’ego de certains, mais il y a plein d’exemples de femmes qui ont réussi à s’imposer sans que leur autorité soit remise en question.

Il suffit par exemple de prendre l’exemple de femmes pirates comme Anne Bonny, Ching Shih, Sayyida Al-Hurra ou encore Jeanne de Belleville. Idem du côté d’impératrices ou figures de pouvoir dont le règne a été très respecté ; ce n’est pas parce que vous ne vous intéressez pas à ces figures qu’elles n’ont pas existées.

Pourquoi utilise-t-on cet argument à tout va ?

Maureen Attali dans sa communication Femmes combattantes et « réalisme » dans les romans de fantasy : un microcosme de la « guerre culturelle » ? explique que l’on utilise des éléments empruntés à l’histoire pour faciliter la suspension d’incrédulité du lectorat, qui peut alors se raccrocher à des points de repère pour s’immerger dans l’histoire.

Ce qu’on qualifie de réalisme historique varie en fonction de l’historiographie (l’avancement de la recherche), car il y a parfois des avancées qui remettent en cause des faits que l’on a cru vrai pendant des années alors que ce n’était que de la fiction. Il y a également tout un courant de recherches autour des personnes minorés qui n’a émergé que bien plus tard, alors que tout un corpus centré sur les hommes blancs cis et hétérosexuels étaient la norme depuis des siècles.

Pour le lectorat, le réalisme historique est donc ce qui est correct historiquement pour eux, à un moment donné. Quand on introduit un élément historique qu’une personne ne connait pas, cela peut l’énerver et lui faire penser que c’est historiquement faux alors que c’est pourtant véridique.

Le problème qui explique cela, c’est que les recherches en histoire restent généralement dans le monde universitaire et vont se propager beaucoup plus difficilement à la sphère mainstream.

Et même si ces recherches finissent par arriver du côté du grand public, il y a un autre problème qui se pose : les idées reçues sur l’histoire relèvent selon Maureen Attali de l’ordre du sentiment, car elles sont formées par tout un tas de choses (télévision, discussions, jeux vidéo, école, etc.)

C’est ce qui explique que même confrontés à des faits étayés par des recherches scientifiques, ces sentiments vont résister, car ils contredisent un discours omniprésent dans les médias.

Il y aurait donc une confusion entre l’histoire et sa réception.

L’argument de réalisme historique n’est pas synonyme de précision, mais de « fidélité à ce qui est perçu comme les caractéristiques d’un genre » et ce qu’on juge réaliste serait donc souvent davantage idéologique qu’historique.

Comment faire des recherches avec des données plus actuelles ?

Sur les sujets généraux, vous trouverez généralement des livres d’histoire ont déjà abordé ces thématiques. C’est le cas par exemple avec le livre Chevaleresses de Sophie Cassagnes-Brouquet ou Les Africains noirs en Europe à la Renaissance de K. J. P. Lowe et T. F. Earle.

Si vous ne trouvez pas de livres publiés sur un sujet précis, il faut aller voir du côté des publications scientifiques.

Pour les dénicher, ce sera sur les bases de données scientifiques comme CAIRN.info, Persée ou Google Scholar.

A partir de là, vous pouvez taper les mots clefs qui vous intéressent comme « queer medieval » par exemple pour avoir des résultats sur les personnes queer au Moyen Age.

Conclusion

Avec House of the Dragon et l’adaptation du Seigneur des anneaux qui arrive, c’est un argument qu’on va encore nous resservir à toutes les sauces, donc soyez préparés :’)

J’ai fait une grosse synthèse sans rentrer dans les détails, donc n’hésitez pas à aller voir les sources et références que j’ai mises en stories à la une sur Instagram pour approfondir le sujet.

Ne pas inclure de diversité dans son récit est un choix, pas une réalité historique. On ne demande pas forcément à ce que vous écriviez des récits avec des personnages minorés si vous n’êtes pas à l’aise et que vous avez peur de perpétuer des clichés, mais ne le justifiez pas sous prétexte que c’est pour être « réaliste ».

Le problème de cet argument sans faire de vraies recherches poussées, c’est que ça donne des genres littéraires ou cinématographiques qui deviennent justement complètement imprécis d’un point de vue historique. @lydieiswriting a écrit un post très intéressant sur les pirates et l’invisibilisation des personnages noirs, et que ce problème vaut aussi avec le setting des westerns où environ 15 % des cow-boys auraient été noirs, et 15 % latinx (au minimum d’après les estimations).

Faire des recherches c’est bien, mais n’allez pas lire un manuel d’histoire généraliste publié dans les années 80 si vraiment vous voulez faire du « réalisme historique ». Intéressez-vous aux dernières recherches publiées dans des revues scientifiques d’histoire, et vous verrez que beaucoup d’idées reçues ont depuis été complètement démontées.

Sources

ATTALI, Maureen, Femmes combattantes et « réalisme » dans les romans de fantasy : un microcosme de la « guerre culturelle » ? in Fantasy et féminismes. Aux intersections du/des genres. 13 mai 202.

Articles

Don’t blame the homogeneity of your novel on historical accuracy. That’s your choice, as an author de Mary Robinette Kowal

The Inaccuracy Of “Historical Accuracy” In Gaming And Media de Arthur Chu

Le Tumblr Medieval POC qui liste les occurrences en histoires de l’art des personnes racisées

2 commentaires sur « L’argument du réalisme historique et le manque de diversité »

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