Écrire à la manière de Christelle Dabos – Analyse de l’introduction de La Passe-Miroir

Le premier chapitre de La Passe-Miroir de Christelle Dabos est l’exemple parfait d’une bonne introduction pour accrocher le lectorat. En très peu pages, l’autrice parvient à planter l’univers, le ton, les enjeux et les conflits de sa saga tout en caractérisant ses personnages.

Ouverture

On dit souvent des vieilles demeures qu’elles ont une âme. Sur Anima, l’arche où les objets prennent vie, les vieilles demeures ont surtout tendance à développer un épouvantable caractère.

Rien qu’avec cette phrase d’accroche, Christelle Dabos pose le ton de son roman et intrigue le lectorat en évoquant l’animisme qui est l’une des « règles de magie » de ce monde. Dès les premiers mots, le lectorat sait donc qu’on est bien dans de la fantasy.

Et pour traduire son univers par l’écrit, l’autrice va humanifier les objets :

Le bâtiment des Archives familiales, par exemple, était continuellement de mauvaise humeur. Il passait ses journées à craqueler, à grincer, à fuir, et à souffler pour exprimer son mécontentement.

Le style au service du ton et de l’univers

Le style de Christelle Dabos est assimilé à de la littérature jeunesse grâce à ses descriptions qui dépeignent un monde presque « cartoonesque ». Cela peut se traduire par exemple par l’utilisation d’accumulations et de personnifications :

Il n’aimait pas les courants d’air qui faisaient claquer les portes mal fermées en été. Il n’aimait pas les pluies qui encrassaient sa gouttière en automne. […] Mais, par-dessus tout, le bâtiment des Archives n’aimait pas les visiteurs qui ne respectaient pas les horaires d’ouverture.

L’autrice utilise la fameuse règle des cinq sens pour planter son décor, mais par dessus-tout, ses descriptions sont utiles car elles permettent de donner des éléments narratifs. Ici, au détour d’une description, l’autrice fait référence au fait qu’Ophélie devra bientôt quitte son Arche :

Elle observa les fils de soleil qui glissaient lentement sur le parquet au fur et à mesure que le jour se levait. Elle respira profondément le parfum des vieux meubles et du papier froid. Cette odeur, dans laquelle son enfance avait baigné, Ophélie ne la sentirait bientôt plus.

Les descriptions et les dialogues pour la caractérisation des personnages

Les autres descriptions du premier chapitre continuent de donner petit à petit des éléments sur le monde comme avec cet exemple, où nous comprenons que nous sommes plutôt dans un univers steampunk :

Au même instant, l’aiguille du phonographe se prit au piège d’une rayure.

L’héroïne Ophélie quant à elle, est introduite directement par son pouvoir de Passe-Miroir :

Un nez était en train de pousser au beau milieu d’une armoire à glace. Le nez allait en avançant. Il émergea bientôt à sa suite une paire de lunettes, une arcade sourcilière, un front, une bouche […] et des oreilles. […] Une fois sortie du miroir, la silhouette ne se résumait plus qu’à un vieux manteau usé, une paire de lunettes grises, une longue écharpe tricolore.

L’autrice caractérise donc l’héroïne en un paragraphe, en mettant à la fois en avant sa particularité « magique » et ses caractéristiques physiques qui vont la différencier des autres personnages.

Les échanges entre Ophélie et son oncle vont quant à eux permettre de donner des informations sur leurs personnalités. Ses personnages sont si bien caractérisés que l’on peut presque se passer des incises pour savoir qui parle. Ophélie parle poliment, tandis que son oncle, lui, utilise un vocabulaire familier, voire argotique :

— J’ai eu un petit téléphonage avec ta maman, hier au soir, mâchonna-t-il dans ses moustaches. Elle était tellement excitée que je n’ai pas saisi la moitié de sa jacasserie. Mais bon, j’ai compris l’essentiel : tu vas enfin passer à la casserole, on dirait.

Lors des dialogues, Christelle Dabos en profite pour indiquer comment les personnages se perçoivent entre eux, ce qui approfondit à la fois les relations tout en créant un sentiment de monde vivant.

Ni que je fasse fléchir ton faiblard de père ?

La caractérisation des personnages se retrouve également dans les passages de narration ou les incises qui entrecoupent les dialogues :

Sa voix bourrue faisait frémir deux superbes moustaches qui s’évadaient jusqu’aux oreilles.

Le nez dans sa tasse de café, Ophélie décida qu’il était grand temps pour elle de prendre la parole.

Un style cartoonesque

L’autrice utilise des comparaisons absurdes, ce qui renforce l’impression de dessin animé qui caractérise si bien son histoire.

Ils étaient moches comme des moulins à poivre et grossiers comme des pots de chambre, je te le concède, mais c’est toute la famille que tu as insultée à chaque refus.

Elle donne aussi des petites particularités aux personnages, toujours dans le but de les caractériser et les rendre plus vraisemblables.

Elle avait une voix en sourdine et une mauvaise élocution, elle devait répéter souvent ses phrases.

Une introduction qui pose les enjeux de la saga

Ses descriptions des autres personnages n’ont d’ailleurs pas uniquement une fonction descriptive, elles permettent d’offrir une réflexivité à Ophélie grâce à des moments d’introspection.

Elle dévisagea son grand-oncle et ses flamboyantes moustaches avec un sentiment d’irréalité. Elle avait l’impression de contempler, à travers lui, une page de sa vie qu’on lui déchirait juste sous le nez.

Concernant les enjeux de la saga, c’est au travers des dialogues que Christelle Dabos livre les promesses et les conflits du roman : Ophélie va devoir quitter son Arche pour se marier bien qu’elle n’en ait aucune envie.

Passer par des dialogues permet d’inscrire l’exposition dans l’action et la rendre vivante, mais aussi de renseigner la manière dont les personnages se positionnent par rapport à ces conflits émergents.

En montrant son héroïne résignée à son sort, elle donne des indices sur les messages sous-jacents de son histoire, tout en laissant entrevoir un des arcs de personnage de l’héroïne (Ophélie doit apprendre à s’affirmer).

Conclusion

Voilà une liste non exhaustive de ce que peut nous apprendre Christelle Dabos en matière d’écriture et de narration, et ce, juste dans les premières pages !

C’est typiquement le genre d’introduction dont il faut s’inspirer lorsque l’intrigue se déroule dans un monde différent : il n’y a pas d’infodumping maladroit, car chaque information passe de manière naturelle par les descriptions ou les dialogues.

En l’espace de quelques pages, l’autrice remplit de manière agréable le cahier des charges d’un premier chapitre réussi avec tout ce qu’on est censé y retrouver : le ton, les promesses, les messages, une entrevue des arcs des personnages, etc.

Pour parler du style en tant que tel, les différents éléments mentionnés permettent de donner une impression très cartoonesque. L’autrice avait expliqué dans une interview qu’elle aimait beaucoup les dessins animés et les films Ghibli, et je trouve que l’inspiration se ressent complètement à la fois dans son univers, mais dans la façon d’écrire son récit, avec des expressions et des manies exagérées qui permettent de vraiment bien caractériser les personnages.

Christelle Dabos est typiquement dans ce qu’on appelle le « show, don’t tell » et c’est ce qui rend son récit aussi vivant.

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